La Femme qui attendait by Andreï Makine

La Femme qui attendait by Andreï Makine

Auteur:Andreï Makine [Makine, Andreï]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions du Seuil
Publié: 2014-12-31T23:00:00+00:00


Nous rentrâmes ensemble, à pied, en contournant lentement le lac. D’abord inconnu, le chemin rejoignit vite celui que j’avais toujours emprunté : du vieux débarcadère, en passant par le croisement des routes et le poteau avec la boîte aux lettres, vers les saulaies où j’avais surpris la femme qui retirait son filet de pêche… Au milieu du lac, dans l’air chargé de bruine, se dessinèrent les courbes claires de l’église sur l’exhaussement ocreux de l’île.

« Il ne faut pas se faire d’illusions, dit Véra quand je lui parlai de ses élèves. Ici, le seul avenir possible est le départ. Nous ne vivons même pas au passé mais déjà au plus-que-parfait. Les enfants iront ailleurs, dans les villes, où le rêve sera un chantier avec de la boue jusqu’aux oreilles, un foyer de jeunes ouvriers, l’alcool, la violence. Mais, vous voyez, je me dis parfois que quelque chose leur restera quand même de ces forêts. Et de nos leçons. Un papillon réveillé juste avant l’hiver. Si ce Liocha a pensé à cela c’est qu’il en gardera la trace. Malgré la mort de son père ivrogne, malgré la crasse des villes où il va plonger bientôt. Malgré tout. C’est peu, bien sûr. Et pourtant je suis certaine que ça peut sauver. Il suffit de si peu souvent pour ne pas sombrer. »

Comme nous passions près de l’endroit de ses pêches, sur la berge couverte de saulaies nues, je sentis que le souvenir de notre première rencontre était encore en elle car elle se hâta de rompre notre silence et parla un peu confusément, en détournant le regard, en m’indiquant l’île : « Une des voies des Vikings vers le sud passait par là, ils voyaient exactement la même île. L’église et le cimetière en moins. Dans leur langue, ils disaient “holm”, une île. Tandis qu’en russe “holm” signifie “colline”. Question au spécialiste : pourquoi un tel glissement de sens ? »

Pris au dépourvu, je balbutiai : « Oh, sans doute une quelconque perversité étymologique… Ou bien, les Russes buvant plus que les Scandinaves… quoique les Finlandais, paraît-il, nous dament facilement le pion dans ce domaine. Attendez… Donc une île des Vikings se transforme chez nous en colline… Eh bien, je jette l’éponge. Alors ce “holm” des Varègues ?

– D’abord, il ne s’agissait pas des Finnois mais des Suédois et des Norvégiens. Et donc, en venant par ici pour leurs rapines, ils avaient besoin d’un bon niveau d’eau pour leurs lourds drakkars. Ainsi préféraient-ils venir au printemps, pendant les grandes crues qui mettaient à leur portée même les villages habituellement éloignés des berges. Ils voyaient une île, hurlaient “Holm !”, les autochtones retenaient le vocable et l’appliquaient à ce que cette “île” devenait quand l’eau se retirait : une simple colline au milieu des prairies émergées… Pardonnez-moi ce ton cuistre. Quand j’étais jeune et naïve, je me suis avisée d’écrire une thèse sur toutes ces finasseries étymologiques. Heureusement, je ne suis pas allée jusqu’au bout…

– Une thèse ? Vous voulez dire un doctorat ? » Mon étonnement fut tel que je ralentis le pas, m’arrêtant presque.



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